Une raison d'être pour la SNCF

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En marge d'une mission pour la SNCF sur la raison d'être du groupe selon ses salariés — l'analyse du contenu d'une consultation générale des agents — j'avais rédigé une note spontanée à la Direction, sur sa perception de la situation stratégique de la SNCF. Cette note, qui ne reprend aucun élément confidentiel, peut contribuer au débat actuel.

Selon cette analyse, la raison d'être de la SNCF, c'est d'aménager de façon durable l’espace-temps des territoires densément peuplés.

Les territoires densément peuplés sont ceux qui ne peuvent s’aménager tous seuls, car leur complexité dépasse la capacité d’auto-organisation, et d'auto-adaptation, des habitants.

Ils mettent en échec la logique de concurrence, et ses défauts de coordination entre acteurs ; et la logique de plate-formes de marché, incapables de planifier à long terme.

La force de la SNCF sur de tels territoires, c'est sa très grande capacité à organiser et planifier. Une capacité qui n'apporte guère d'avantage concurrentiel en rase campagne, dans les liaisons intervilles.

La SNCF transporte, elle propose aussi, dans les territoires denses, des centres commerciaux, de la restauration, pourquoi pas de l'hébergement et des centres d'affaires : c'est la même capacité qui est mobilisée, celle d'agencer l'espace dans le temps, l'ingénierie de l'espace-temps.


1. Quelles sont les principales forces de la SNCF ?

Par rapport aux concurrents classiques, ferroviaires et aménageurs, ce sont :

  • L’art de vivre français, la culture française des villes denses agréables
  • La diversité des métiers actuels de la SNCF : réseau et exploitation, mobilité et immobilier, fer et plate-forme de déplacements légers…
  • Sa dimension globale (mondiale), son interculturalité (au moins potentielle)
  • La force de la culture cheminote, de la solidarité entre agents autour de valeurs de long terme, toutes allant dans le sens de la continuité du service et de l’amélioration continue ; même si ces valeurs sont partiellement implicites, notamment celles qui touchent au service des clients.

Ces forces me semblent décisives. Même si je connais trop mal les concurrents pour évaluer qui a un potentiel similaire : British Rail ? La RATP ? Veolia ? Le métro berlinois ?…

Par rapport aux plates-formes de marché, la SNCF l'emporte par :

  • Sa capacité à livrer de la prévisibilité : continuité de service, ponctualité, sécurité
  • Le fait de ne pas dépendre de l’offre sociale : elle dessert à contre-flux, elle dessert indépendamment de l’humeur du jour…
  • Son poids sur les décisions politiques sur l’aménagement : sa capacité à obtenir des tunnels, des créneaux temporels, des préfinancements…

Ces atouts sont significatifs à long terme. Mais dans les 1-3 prochaines années, 2015-2018, ce sont plutôt les atouts des plates-formes qui vont se révéler, et leur permettre de conquérir une part de marché qu’elles « auraient dû détenir » depuis longtemps. La SNCF devra, dans un premier temps, apprendre d’elles plutôt que de les ignorer (ce que son personnel tend à faire, au moins dans son rôle professionnel) ou de les dénigrer.

2. Quelles sont les principales faiblesses de la SNCF ?

Par rapport aux concurrents classiques, ferroviaires et aménageurs, la SNCF est marquée par :

  • Sa faible urbanité (par rapport à la RATP par exemple), sa méconnaissance des gens, des modes de vie, la faible valeur qu'elle accorde à la liberté individuelle des gens.
  • Son enfermement dans des modèles économiques (yield, course à la subvention d’équilibre) à l’opposé d’une prise de responsabilité comme aménageur de la planète et de la société.
  • Sa tendance au greenwashing, à traiter l’écologie comme un hochet ou un argument politique.

Ces faiblesses sont très handicapantes, voire de nature à ridiculiser la SNCF, mais elles ne sont pas profondes. Elles sont essentiellement enracinées dans les couches de direction, et dans les modes managériales des années 1990-2000 ; elles ont prospéré dans le vide d’une doctrine spécifique au fer, après l’époque du TGV.

Par rapport aux plates-formes de marché, la SNCF est gênée par :

  • Sa faible attention à la personne. Les gens sont traités (par l’organisation, les messages, les agents) comme des souris dans des labyrinthes.
  • Son incapacité actuelle à garantir le "bout en bout" : à l'assurer, à le livrer avec la même qualité de service. Elle ne connaît que le gare à gare.
  • L'inertie de son infrastructure : son incapacité actuelle à desservir un nouveau quartier, un nouveau pôle d’emploi ayant de nouveaux horaires, une zone commerciale, un festival, etc.

Ces faiblesses sont profondes, et font ressortir par contraste la valeur et la densité du « one-to-one » façon Uber/Heetch, BlaBlaCar ou AirBnB. Le « one-to-one » est intégré par nature à la société, il prend en compte l’environnement exactement comme la société le souhaite. L’implosion qui menace le trafic voyageurs est donc très similaire à celle vécue sur le fret.

Pour éviter cette implosion, la SNCF devra certainement passer par un programme à la fois urgent, large et profond :

  • Se redéfinir comme acteur social global (« la » Société Nationale…) en abandonnant le prénom imprononçable d’offreur de marché (« SNCF »). Définir son objectif comme celui de l’intégration sociale et écologique de l’ensemble de son offre ; au lieu du double objectif absurde de maintenir en l’état tout l’existant, et de présenter aux caméras une réalisation « ultra-moderne » pour happy few.
  • Réaligner ses plans d’investissements sur ces nouvelles définitions.
  • Faire appel à l’expertise personnelle des agents (de France et d’ailleurs), car ils sont (comme tous les citoyens) à la fois demandeurs d’intégration sociale et écologique, et utilisateurs des plates-formes numériques : i. Utiliser l’émulation de ces plates-formes pour générer et réaliser toutes les innovations qui maintiendront le fer dans la course ; ii. Tirer parti de la présence des plates-formes pour accroître la demande de fer (gagner des parts de marché sur l’avion, sur l’immobilité…).
  • Construire une ingénierie de l’espace-temps, c’est-à-dire adapter en permanence la forme du réseau (au sens large : la forme de l’offre) aux événements, à la météo, etc. — au-delà de « coups médiatiques » ou d'opérations ponctuelles gérées comme des exceptions.